LE FIGARO MAGAZINE
Samedi 8 août 2009
La leçon magistrale de Francis Huster
La scène se passe à la Gaîté Montparnasse, sis à Paris, dans la fameuse rue des théâtres. Maître Huster est déjà là, en bas de la scène, le sourire aux lèvres. Il accueille ses hôtes, élèves-spectateurs, avec un petit mot gentil, demandant à chacun d’où il vient, qui il est, ce qu’il vient chercher. Les uns sont de jeunes comédiens. Mais il y a les autres, aussi : les admirateurs du maître, les curieux, ceux qui aiment voir les vedettes, “sentir la bête en vrai”, comme dit Alain Delon.
Francis Huster, on le sait, aime le football. Il va nous parler pendant plus de quatre heures, et il sait bien, en bon sportif, que pour tenir il faut commencer lentement. Alors il se chauffe. Un petit entraînement, façon scène d’exposition, pour mettre le corps du comédien et l’esprit des spectateurs en bonne disponibilité. Et puis ça commence. Première leçon : respecter le plateau. Trop de comédiens le banalisent. Faire du théâtre, veut-il faire sentir, est un acte grave. Le plateau, c’est comme pour un roi la terre de France. Jouer est un mélange de religiosité et d’ego, de don et de cadeau. Il dit tout cela à sa manière chaleureuse, montant petit à petit sur la scène. Avec gravité et respect. Et puis, peu à peu, la machine s’emballe. Huster parle de ses maîtres, de la fraternité, de l’amour des textes. Les belles formules fusent : “Quand l’acteur est habité, il est imparable.” Les vérités, aussi : “Un acteur ne doit jamais jouer le texte mais un rôle.” Il attaque aussi : les one-man-show qui pullulent, avec ces comédiens qui se mettent en scène en répétant inlassablement ce qu’ils savent faire, sans prendre le temps d’apprendre le métier, en niant le personnage, en refusant l’autre. Les metteurs en scène obsédés de la forme ne sont pas épargnés non plus. Huster est déchaîné : “80% des acteurs, affirme-t-il, ont un regard de bifteck !” La salle est en joie.
Enfin, il fait monter une jeune comédienne sur la scène pour qu’elle se rende compte de l’engagement qu’elle prend, la complimente en séducteur irrésistible, interprète un peu de Racine. Et, là, il montre, avec brio, la différence entre un comédien qui joue les vers en les chantant et celui qui est dans l’authenticité, le juste sentiment. La salle est définitivement aux anges. Une spectatrice, à l’ego trop développé, pose une question bébête et casse le charme. Qu’importe ! Huster lui répond avec une incroyable gentillesse. Tout l’homme est là. Et quand il termine en racontant mille anecdotes croustillantes sur la mise en scène de Pagnol, ses rapports difficiles mais cocasses et tendres avec l’ami-ennemi de trente ans Jacques Weber, toute la salle l’embrasserait. Les quatre heures sont passées et il fait du rab. Le théâtre est en gloire. Mission accomplie.
Jean-Luc Jeener